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Le papyrus érotique de Turin

Je savais depuis peu que cette porte dérobée s'ouvrait sur la Mort. Avec la Mort comme avec beaucoup d'autres aspects de l'existence, je préfère rester dans le flou quand le recours à l'astucieux n'est pas envisageable.

En Egypte, nous avons du mal à accepter que la réincarnation ne soit pas un enchantement mais quelque chose que l'on traîne comme un bloc de granit sur un chantier de pyramide. Nous avons conscience d'être au sommet de l'évolution spirituelle. Bientôt, nous n'aurons plus besoin de mythes, de héros, de dieux. J'espère qu'il restera quelques Daïmons farceurs qui vivent dans les arbres, sous les pierres ou tapis dans les recoins obscurs de nos maisons.

Quand toutes les créatures éthérées auront été évacuées, les chats quitteront les temples et les bosquets sacrés des déesses qui nous ont réjouis pendant des millénaires.


J'ai peur des choses éphémères qui refusent de mourir. Une statue d'IMN en or massif peut être fondue en un rien de temps mais élimine-t-on un dieu en fracassant ses images ? Nos prêtres malicieux ont placé en elles des éléments magiques que le feu ou la malignité des hommes ne peuvent détruire.


Comme en témoignera le bel agencement de ma tombe, mes préoccupations métaphysiques ne sont pas élémentaires. Les archéologues furent à la fois séduits et effarés par la découverte d'une spiritualité non fossilisée qui s'épanouissait sous des couches archéologiques. Ils ne purent me classer dans une période déterminée. Ils comprirent seulement que je n'étais pas destiné à durer ou à entrer dans les détails d'une existence somme toute plutôt heureuse.

J'avais fait placer dans ma chambre funéraire trois rouleaux de papyrus. Ils sautèrent de joie quand ils les découvrirent. On allait enfin en savoir un peu plus sur ce mort facétieux.

Voici la genèse de l'histoire : ce matin-là je me sentais d'humeur badine car je devais achever le luxueux exemplaire d'un Livre des Morts pour un client opulent.

Soudain, ce périple dans la Douat avec sa faune hybride et ses jugements à la noix de palmier doum, me donnèrent le tournis.

J'étais vivant et j'avais envie d'écrire quelque chose de plus leste, les aventures d'un individu porté sur les plaisirs élémentaires.

J'ai un bon coup de calame et, rapidement, les dessins l'emportèrent sur le texte. Plus de divinités inquiétantes mais des gaillardes tatouées, sectatrices averties de Bès, d'une remarquable souplesse leur permettant d'adopter toutes les positions du Kama Soutra égyptien.





Les vieux égyptologues firent semblant d'être indignés, les jeunes eurent du mal à contenir une érection. Les attributs virils de Min n'étaient pas symboliques. Oui, les Kémitiens n'étaient pas de glace, figés dans des poses hiératiques ou des cogitations morbides.


Je ne pouvais pas décemment livrer à mon client un tel opus. En quelques jours, je lui bâclai son Livre des Morts et gardai pour moi mes joyeux dessins. Je les ferai placer dans ma tombe afin qu'ils réjouissent mon éternité et témoignent que les Egyptiens étaient aussi des polissons.

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