Les Ancêtres sont ceux qui nous ont quittés, un reflet sur le Nil au soleil couchant, un silence définitif. Il ne reste bientôt plus rien pour les recomposer.
Parfois ils reviennent dans nos rêves mais nous ne les reconnaissons pas. Les morts ne rêvent pas de nous, ils n'ont plus besoin de notre chaleur, leur ombre ne les suit pas quand ils marchent face au soleil.
Je ne souffle pas la mèche de la lampe, j'épie le moindre bruit dans le silence de la nuit. Plus aucun bateau ne navigue entre les îles de l'archipel. Ils sont partis avant que la mer n'engloutisse leurs nécropoles et la caverne de l'Oracle.
Ils avaient trouvé les sources du Fleuve mais pas l'origine des mythes, comme s'il était dangereux de connaître la genèse des monstres et des circumambulations rituelles. Ils progressaient en suivant les énormes pierres levées plantées au bord de ce qui pouvait être des routes menant vers l'hypothétique royaume du faucon Divin.
A Hawara, un réseau souterrain de canaux reproduisait le labyrinthe liquide où était né le premier Sphinx, où le Benou était entré en combustion pour la première fois.
Le versant occidental des collines, des montagnes et des dunes est consacré aux aventuriers qui traversèrent le grand désert sous la conduite d'un chaman à tête de loup dont les yeux avaient été brûlés par le soleil.
Si l'un des membres de l'expédition faisait mine de revenir en arrière, il était exécuté et sa dépouille était laissée à la disposition des charognards, rejetons de Nekhbet et de Mout.
Ils avaient dans l'esprit des dieux archaïques porteurs de plumes qui ne servaient pas encore à voler. Dans leur subconscient nageaient des serpents de toutes tailles et de toutes couleurs. La Première Fois renouvelait ses fastes chaque matin avant que ne se lève le vent.
Soudain, un scribe se réappropria l'Histoire mais il lui manquait trop d'éléments pour en faire une narration fidèle.
Le monde d'avant n'était pas plus beau mais plus pur, plus prêt à se jeter dans le vide. C'était un temple où aucun prêtre n'était entré par effraction. Seuls les animaux divins déambulaient entre les colonnes pour donner aux images la force d'être vivantes sans être tout à fait réelles. Les choses s'organisaient à notre insu. Nous distinguions à peine les silhouettes qui allaient devenir des monarques.
Le Fils de Hapou qualifia ces temps de vertigineux, lisses et insaisissables parce que sans but immédiat et s'accommodant fort bien du désœuvrement. Dans les moments de latence apparaissaient des opportunités jusqu'alors inimaginables. Pas de manifestations sans occultations. Il pouvait rester des journées sans rien faire, sans bouger, sans parler, sans rien attendre. Il devenait un étrange assemblage qui n'avait pas encore inventé ses formes, ne s'était pas détaché des hasards.
C'est un grand privilège de solivaguer sur un territoire épuré où rien ne retient le regard. Une abstraction bouleversante dans le psychisme des Ancêtres qui font semblant d'être morts pour qu'on ne les réveille pas et qui auront toujours sur nous une longueur d'avance. Ils sont parvenus à un degré de conscience capable de faire fuir les prédateurs féroces qui, la nuit, traquent les rêveurs sans défense.
Le Fils de Hapou a troqué le calame pour le bâton de marche. Dans sa tombe, au cœur de la montagne tabulaire, il attend d'être plus libre pour rejoindre le dieu qui ne délivre pas de messages mais vous entraîne dans d'étranges épiphanies.
Comments