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Un petit supplément d'éternité



Il existe un marché clandestin de sarcophages recyclés ou de provenance douteuse. Pour nous Egyptiens, se procurer un sarcophage digne de ce nom est une façon de considérer que la Mort n'a rien d'absurde et n'est pas soumise aux lois de la désorientation.

Un de nos vieux Sages disait : En mourant, ne vous jetez pas trop vite dans le vide avant d'avoir vérifié l'étanchéité de votre sarcophage.


J'ai enquêté sur les cultes secrets pratiqués dans les profondeurs du temple d'Opet, au sud d'Ipet Sout, des rituels archaïques pour attirer des entités divines aux noms soigneusement occultés. Là, les impétrants passent 3 jours et 9 nuits dans un sarcophage d'une perfection sidérante. Leur psychisme a le temps de s'imprégner des formules magiques peintes sur les parois et le couvercle. Certains hiéroglyphes en creux sont remplis d'une pâte de verre ayant l'apparence des pierres les plus rares du monde minéral. Expérience du translucide dans un espace ténébreux d'une incroyable densité.


Les histoires de sarcophages réutilisés débouchent sur des conclusions ambiguës pétries de paradoxes jubilatoires. Lors de mes investigations, je suis tombé sur des épisodes ahurissants comme celui de ce coffre ayant servi à plusieurs magiciens du Moyen Empire qui, chacun à leur tour, l'avaient amélioré jusqu'à le rendre insubmersible lors des traversées aventureuses des étendues d'eau de la Douat.


Les sarcophages retrouvés par les pilleurs de tombe et les archéologues sont des leurres destinés aux badauds dans les musées et les expositions. Les authentiques, chargés d'une magie efficiente, disparaissent dès que l'on force les portes de la tombe. Ils changent de direction et de nature, ne conservent en filigrane que l'horreur tranquille d'un surnaturel mal dosé et donc indétectable.


Faute de place dans ma maison déjà pleine de vieilleries pharaoniques, j'ai placé mon sarcophage dans ma chambre à coucher, au pied de mon lit. Mes amis ont prétendu que j'étais inconscient, que mes lubies finiraient par me coûter cher. Or, ce meuble funéraire renforça ma joie de vivre. Je savais que je ne craignais rien tant que je ne m'y coucherais pas. Je n'attendais de lui qu'un petit supplément d'éternité, qu'une vague connivence avec Ousir dont je ne souhaitais pas encore partager le destin et les tentatives de mort clinique.


En attendant le moment propice, j'ai extorqué aux Gardiens peints sur les parois intérieures les bonnes réponses aux tuilages que j'aurais à subir au moment du passage d'une heure à l'autre, assorties de conseils comme celui-ci : Surtout ne pas laisser entendre que j'en savais plus qu'il n'est convenable et me faire passer pour un passager clandestin et inopportun.

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